Dans un contexte marqué par la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19, qui a eu un impact indéniable dans plusieurs secteurs, celui de la communication n’a pas été en reste. Dans une interview accordée à Gabon Media Time, le président de la Haute autorité de la communication (HAC) Raphael Ntoutoume Nkoghe revient largement sur la question de la régulation des médias, la situation difficile que traversent actuellement les entreprises de presse compte tenu de la crise, les relations avec Reporter sans frontière (RSF) mais aussi la gestion de la Redevance audiovisuelle qu’il espère être élargie à la presse privée. Ci-dessous l’intégralité de cet entretien.
Comment va M. Raphaël Ntoutoume Nkoghe, l’homme, et ensuite le président de la Haute autorité de la communication?
RNN. L’homme et le Président ne font, en réalité, qu’un. C‘est-à-dire le citoyen que je suis, un citoyen qui vit dans une société qui va mal, et très mal. Je ne peux pas me porter bien, quand autour de moi, ça ne va pas bien. C’est ici que je me trouve en phase avec ce propos de Jean Jacques Rousseau: « La nature a fait l’Homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable ».
Je sais que depuis 2009, le Chef de l’Etat a conçu un projet de société: « L’avenir en confiance ». Et un programme circonstancié du déroulé de ce projet: « Le plan stratégique Gabon émergent ».
Malheureusement, depuis 2009, le Président de la République n’a eu que des compagnons douloureux quant à la matérialisation de ce projet. Pour avoir été au coeur du dépit constant du Chef de l’Etat face à toutes ces forfaitures, à cette inertie permanente, à ces lenteurs entretenues et contrôlées derrière des agendas dissimulés, je comprends parfaitement cette Primature hexa en quatorze ans. En quatorze ans, nous n’avons de cesse voulu créer dans le dos du Chef de l’Etat une société individualiste, avec toutes ses tares, au détriment d’une société égalitaire. Égalité civile, égalité politique et égalité sociale qui constituent pourtant les fondements de « L’Avenir en confiance ».
Où d’aucuns usent du simplisme en parlant d’erreurs de casting indéfrisables, j’y vois une perpétuelle confiance trahie. Où d’aucuns surfent sur l’incompétence, j’y décèle une érosion maîtrisée. C’est vous dire que la seule chose que nous avons réussie, c’est notre recherche inlassable de pourrir les mandats du Président de la République. Mais je sais qu’avec les réajustements qui viennent d’être faits et avec un peu de volonté, un minimum de détermination, on pourra rattraper une bonne partie du retard accusé. Ce qui soulagera le peuple et lui rendra ainsi sa dignité. Toute sa dignité. Je ne vais pas bien, mais je reste optimiste.
La Covid-19 a mis à rude épreuve plusieurs pays et avec eux, leurs institutions. Qu’en est-il de la vôtre ? Dit autrement, comment peut-on résumer la HAC et son fonctionnement en ces temps de crise sanitaire ?
RNN. Tout va pour le mieux maintenant. J’ai un de mes collaborateurs qui a été testé positif. Et comme il s’agissait d’un agent assidu au travail, présent tous les jours à l’institution, j’ai immédiatement décidé de la fermeture de l’institution. Ensuite, on a procédé à la décontamination des locaux en deux phases.
De grandes âmes m’ont fait le reproche d’avoir pris cette décision hors plénière. Il se trouve malheureusement que cette procédure n’existe dans aucun des textes fondateurs de la HAC. Et même si, je ne pouvais tout de même pas prendre le risque d’organiser une plénière sur un site potentiellement contaminé.
Depuis la décontamination, l’institution a rouvert ses portes et les activités ont repris. Toutefois, si l’on peut se réjouir de la situation sanitaire de l’institution, il n’en est point de même du côté budgétaire. Pour être bref, je dirais tout simplement qu’à ce jour, le taux d’exécution du budget (1,020 milliard, NDLR) de la HAC est de 0,010 %. Conséquence directe : sept (7) mois d’arriérés de salaires. Voilà le tableau.
On sait la relation entre la HAC, les entreprises de presse et les journalistes souvent tumultueuse et conflictuelle. Qu’en est-il à l’heure actuelle ?
RNN. Il n’est pas faux qu’au début, nos relations ont été des plus tendues. Je crois que cela tenait d’une incompréhension profonde de la notion même de la liberté d’expression. Pour certains journalistes, la liberté d’expression c’est la liberté de s’exprimer, c’est-à-dire de diffuser et de publier tout ce qu’on veut. A l’occasion, on n’hésite d’ailleurs pas à brandir l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme: « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Or, il se trouve que cet article est encadré dans la presque totalité des pays qui ont épousé la liberté d’expression. Entre autres conditions, il y a les interdictions à l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse ou à l’appel à la violence physique contre les individus, à la diffamation, à la calomnie, au négationnisme, à l’atteinte à la propriété intellectuelle…
En clair, la liberté d’expression n’est pas la liberté de mentir; la liberté d’expression n’est pas la liberté de semer la haine et la division; la liberté d’expression n’est pas la liberté de faire l’apologie du crime; la liberté d’expression n’est pas la liberté d’altérer les faits.
Je sais qu’il a fallu du temps pour que les uns et les autres prennent finalement conscience de tout cela. Aujourd’hui je suis satisfait de l’évolution du contenu éditorial de la grande majorité des médias. D’où cette diminution exponentielle non seulement des sanctions, mais aussi des plaintes. Signe, toute proportion gardée, évident d’un traitement de plus en plus professionnel et rigoureux de l’information.
Que répondez-vous à Reporters Sans Frontières qui affirme, une fois de plus, notamment dans son dernier Classement mondial sur la liberté de la presse, que la HAC est le bourreau des médias ?
RNN. Je suis d’une grande naïveté. Tant et si bien que lors de la dernière année du CNC, c’est avec un intérêt particulier que je me suis mis à attendre la publication du fameux Classement mondial de RSF. Cela pour la simple raison que cette année-là, le CNC n’ayant sanctionné aucun média gabonais, j’étais plus que persuadé que le Gabon allait figurer parmi les trois premières places. A ma grande surprise, aucune ligne n’avait bougé.
Leçon retenue: que l’on sanctionne ou que l’on ne sanctionne pas, on reste bourreau. Il y a de quoi en rigoler.
Dans ma vie antérieure de peintre du dimanche, je fus le point focal de RSF au Gabon. C’est dire que je connais parfaitement les critères qui sous-tendent cette échelle. En dehors de la qualité éditoriale et du ton même des médias, il y a notamment le cadre juridique, l’assistance de l’Etat, l’accès aux sources.
Sur le cadre juridique, la dépénalisation du délit de presse au Gabon est un fait. Même si sur ce point, la mauvaise foi de RSF est sans frontière…
Sur l’assistance de l’Etat. Le Gabon est le seul pays en Afrique qui alloue, chaque année, une subvention aux médias privés. Là aussi, la malhonnêteté de RSF est sans frontière.
Enfin, sur l’accès aux sources, je constate un fait indéniable: depuis 2010, l’administration s’efforce à communiquer sur tous les sujets. Je reconnais cependant qu’il y a encore beaucoup d’efforts à fournir.
La place que RSF a réservée au Gabon depuis 1992 participe de l’éternel Gabon bashing. Cette organisation est avant tout une chapelle politique avec une idéologie masquée derrière un paravent.
C’est toujours le grand classique: on ne cherche pas à savoir si la sanction est justifiée ou pas. Pour ces gens-là, il ne faut pas sanctionner, au nom de la liberté d’expression. Au point que RSF a depuis longtemps rangé la prévention et la pédagogie au fond de ses derniers tiroirs. La preuve est là: trois semaines avant le génocide rwandais et alors que Radio mille collines lançait ouvertement des appels au meurtre, RSF n’a pas jugé utile de dénoncer ce comportement anti-professionnel et proprement criminel. Évidemment au nom de « sa » liberté d’expression.
Finalement, par crainte de conforter ma naïveté, on parle de quel classement?
La question de la destination des fonds issus de la redevance audiovisuelle fait couler beaucoup d’encre et reste visiblement le noeud gordien de certains mouvements d’humeur des Syndicats. Quel regard portez-vous sur cette redevance ?
RNN. Mon regard sur la RAC est celui d’un observateur qui ne ménagera aucun effort pour accompagner le Gouvernement dans ce formidable challenge. Pour le reste, la HAC ne gère pas la RAC.
Le secteur de la communication, notamment la presse écrite privée traverse une période difficile avec la baisse des ventes des journaux. Comment selon vous, l’Exécutif peut-il, avec le soutien de la HAC, parvenir à sauver les entreprises du secteur ?
RNN. Je crois qu’il faut profiter du cadre juridique de la RAC pour améliorer l’assistance de l’Etat aux entreprises de la presse privée. Un élargissement de l’assiette de la redevance constituera une formidable opportunité. Nous travaillons déjà dans ce sens avec le gouvernement.
Vous avez fait l’objet ces derniers mois, et ce à deux reprises, d’une convocation au B2 pour des raisons jusque-là inconnues de l’opinion ? Est-il possible que l’on soit édifié à ce sujet ?
RNN. Cette affaire étant pendante devant les juridictions compétentes, je n’en dirai pas un mot. Je crois d’ailleurs qu’un article d’un de vos confrères a parfaitement résumé la situation. Cette affaire ne me concerne pas.
Le Gabon vient de célébrer ses 60 ans d’accession à la souveraineté internationale. Quel bilan faites-vous?
RNN. Après 60 ans d’indépendance, le Gabon ne devrait pas être là où il se trouve aujourd’hui. Dire le contraire, c’est se barricader derrière son auriculaire. Je suis né à Kango et non à Paris. J’ai grandi dans les arrière-cours de Lalala et non à Neuilly. De Kango à Lalala, je fais le constat que tout s’est dégradé. Par la faute de qui ? Certainement pas par la faute de la France comme l’a soutenu, devant votre caméra, un grand théoricien de la doctrine du bouc-émissaire.
Aucune bonne foi ne peut sérieusement rejeter le fait que le Gabon n’a jamais été, pour la France, une colonie de développement, mais plutôt une colonie d’exploitation. Cela dit, de l’indépendance jusqu’à 1990, notre pays a pris en main son propre développement. Toutes les promesses de la présidentielle de 1967 ont été tenues: le transgabonais et le port d’Owendo ont été réalisés sans pour autant que la France, pourtant accusée par Luc Bengone Nsi de constituer le principal frein au développement du Gabon, ne s’y oppose.
Sous Omar Bongo Ondimba, les aéroports et ports ont été construits. Des universités ont vu le jour. Chaque province a été dotée d’un hôpital provincial. Chaque département a bénéficié d’un bureau de poste et des écoles. Toutes ces infrastructures ont été réalisées sans le moindre véto de la France.
De même, Air Gabon, la SEEG, l’OPT, les Ciments du Gabon, la SOGARA, la SNBG, l’OCTRA, l’OPRAG, AGROGABON, la SOGADEL, SOSUHO, HEVEGAB, etc, ont été créés et ont tous connu la prospérité. On n’a pas entendu ou relevé la manifestation d’un quelconque climat anti français . Concrètement, en quoi la France est-elle responsable de notre recul actuel ?
Il faut préciser que ce recul a été amorcé à partir de 1990 avec l’éviction du gouvernement de Léon Mebiame Mba et son remplacement, jusqu’à ce jour, par des gouvernements dits d’intellectuels et démocratiques. Ce sont nos propres érudits qui ont confectionné et matérialisé la désarticulation de tout nos acquis économiques.
C’est nous-mêmes, et pas la France, qui avons trouvé le manteau: la mauvaise gestion de ces entreprises, étant entendu qu’il n’y avait pas parmi ces savants certains qui soient capables de bien gérer. C’est nous-mêmes, et pas la France, qui avons fait appel au FMI pour sacrifier ces fleurons de notre économie.
De fait, je comprends la position du grand-frère Luc Bengono Nsi. Il est dans l’embarras du fait que les grands artisans de ce génocide économique qui a littéralement plombé notre développement, sont devenus ses coéquipiers politiques. On sait bien, nous tous, qui était le ministre en charge des privatisations. En tout cas, ce n’était pas un Français, mais bel et bien un Gabonais qui a le verbe haut dans la protestation. On ne peut pas éternellement faire dans « le mauvais danseur accuse toujours le pantalon ».
Évidemment qu’à la lecture de ces lignes, les grelots ne manqueront pas de tintinnabuler pour m’accuser de ne pas respecter le principe de neutralité que m’impose ma fonction de Président de la HAC. Mais ma fonction ne m’interdit pas de parler de l’histoire du Gabon.
Votre mot de fin?
RNN. « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » disait Henri Bergson. Et je reste persuadé que beaucoup sera fait dans les trois prochaines années.