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Gabon: la Cour constitutionnelle (re)pénalise le délit de presse

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Réuni en sa séance plénière du jeudi 25 novembre dernier, le bureau de l’Assemblée nationale a examiné et adopté plusieurs projets de textes soumis à son appréciation. Au nombre de ceux-ci, l’ordonnance modifiant et complétant la loi organique sur la Cour constitutionnelle rédigé par les membres de cette haute institution et qui consacre en l’article 13a le retour de la pénalisation du délit de presse en République gabonaise après seulement deux années de grâce.

C’est assurément une mauvaise annonce pour tout individu épris de liberté d’expression et de démocratie. En effet, la nouvelle ordonnance modifiant et complétant la loi organique sur la Cour constitutionnelle vient restreindre la liberté des hommes et femmes des médias qui ne pourront plus s’exprimer sans risque d’être poursuivis. Ainsi la pénalisation du délit de presse est en voie d’être remise au goût du jour par la volonté des juges de la Cour constitutionnelle présidée depuis une trentaine d’années par Marie-Madeleine Mborantsuo.

En effet, l’article 13a de ladite loi organique pose les jalons d’une extinction de la liberté des journalistes. « Toute personne physique ou morale ou tout organe ou agent de presse auteur de menaces, d’outrages, de violences et d’attaques de quelque nature que ce soit contre la Cour constitutionnelle ou l’un de ses membres peut être traduit devant le tribunal correctionnel suivant la procédure de flagrant délit », y est-il expressément prévu. Une véritable douche froide pour les progressistes en matière de liberté d’expression.

Le terme « attaque » repris dans les dispositions de l’article 13A devra être entendu comme toute accusation ou toute critique Ce qui rend la pratique même du journalisme impossible en cas de traitement d’un sujet lié à la Cour constitutionnelle ou encore des juges constitutionnels, car si les faits sont fidèles lors de la rédaction d’un article de presse, les commentaires que peut faire un journaliste ou un éditorialiste sont libres. S’agissant de l’appréciation de l’attaque « de quelque nature que ce soit », son caractère subjectif laisse entrevoir des possibilités d’autocensure de la part des hommes de presse. 

[acl_also_read title= »LIRE AUSSI » text= »Gabon: RSF dénonce «une remise en cause inédite de la dépénalisation des délits de presse» » link= »https://gabonmediatime.com/gabon-rsf-denonce-une-remise-en-cause-inedite-de-la-depenalisation-des-delits-de-presse/ »]

L’opinion s’interroge sur l’opportunité d’une telle loi qui pourrait être très vite qualifiée de « liberticide » et qui ne manquera pas d’impacter négativement le classement du Gabon de Reporters sans frontière (RSF) sur la liberté de la presse. A l’approche des futures élections présidentielles, aucun média ne pourra écrire ou commenter librement des actes posés par la Cour constitutionnelle, institution constitutionnelle, juridictionnelle et politique en charge du contentieux électoral, pour dénoncer, s’il y a lieu, la partialité d’un juge constitutionnel ou un conflit d’intérêt voire la Cour elle-même ? Certains acteurs de l’opposition y voient déjà un arsenal répressif taillé pour se parer à une élection présidentielle 2023 des plus indécises. 

Une chose semble d’ores et déjà sûre c’est que l’ordonnance n° 00000012/PR/2018 du 23 février 2018 modifiant et complétant certaines dispositions de la n°19/2016 du 9 août 2016 portant Code de la communication en République gabonaise, qui consacre la dépénalisation du délit de presse ne s’appliquera pas si ce dernier est commis à l’encontre d’un juge constitutionnelle ou de la Cour elle-même. En effet, l’article 199 bis dudit texte prévoit qu’« il est exclu toute sanction privative de liberté en cas de manquements aux dispositions de la présente ordonnance et règlements en vigueur, notamment les infractions commises par voie de presse ». 

Or, en prévoyant des mesures coercitives envers les acteurs des médias ou des médias eux-mêmes, la Cour sème le trouble dans l’esprit de la société qui voit se dégager une dualité d’application de ladite ordonnance. L’exercice libre de la presse pour tous les individus au Gabon et une liberté restreinte quand il s’agit des seuls membres de la Cour censés rendre des décisions au nom et dans l’intérêt du peuple Gabonais. La Cour ne viole-t-elle pas le principe à valeur constitutionnelle de l’égalité entre tous les citoyens devant la loi ? 

Lyonnel Mbeng Essone

Rédacteur en chef adjoint, je suis diplômé en droit privé. J'ai longtemps fourbi mes armes dans les cabinets juridiques avant de me lancer dans le web journalisme. Bien que polyvalent, je me suis spécialisé sur les questions sociétés, justice, faits-divers et bien sûr actualités sportives.

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