Depuis quelques jours, l’opinion bruisse d’informations sur l’exclusion du Gabon au programme « d’allégement immédiat du service de la dette » approuvé par le Fonds monétaire international (FMI) au bénéfice d’une vingtaine de pays. Une information quelque peu erronée, le pays n’étant pas spécifiquement visé par ce programme destiné uniquement aux pays à Faible Revenu (PFR) comme l’a expliqué l’analyste économique Mays Mouissi dans une interview accordée à Gabon Media Time.
Gabon Media Time : le Gabon s’est retrouvé exclu de « l’allégement immédiat du service de la dette » approuvé par le FMI, quel commentaire faites–vous de cette exclusion ?
Mays Mouissi : Il est quelque peu abusif de dire que le Gabon a été exclu de l’allégement immédiat du service de la dette décidé par le FMI le 13 avril dernier car le Gabon n’était pas spécifiquement visé.
En pratique, le Conseil d’administration du FMI a décidé d’accorder un allègement du service de la dette aux Pays à Faible Revenu (PFR), c’est-à-dire aux pays dont le Revenu National Brut (RNB) par habitant est inférieur à 1025 USD par an. Or, le Gabon est un Pays à Revenu Intermédiaire (PRI) de la tranche supérieure, c’est-à-dire qu’il est classé dans le groupe des pays dont le RNB par habitant est compris entre 3 996 et 12 375 USD par an. Notre pays ainsi que tous les autres Pays à Revenu Intermédiaire n’étaient donc pas la cible de la mesure décidée par le FMI.
A titre personnel, j’ai du mal à comprendre que face à l’une des plus grandes crises sanitaires et économiques de notre siècle, le FMI ait choisi de construire son intervention en se basant sur des catégorisations de pays qui ne reflètent pas forcément la réalité de la situation sociale de la majorité de leurs citoyens. Pour ne parler que du Gabon, notre pays aurait bien besoin d’un décalage des échéances de remboursement de sa dette multilatérale d’au moins 1 an sans que cela n’entraîne des pénalités. Quand le FMI agit différemment, il aggrave la situation sociale, économique et sanitaire de milliers de citoyens.
Peut–on considérer que le fait que le Fonds ait accordé un prêt de 88 milliards plutôt qu’une aide, souligne un manque de confiance de l’institution vis–à–vis du gouvernement gabonais ?
Il faut déjà restituer les choses dans leur contexte. Ce sont les autorités gabonaises qui ont sollicité du FMI ce prêt de 88 milliards FCFA via un mécanisme de financement d’urgence. Ce sont donc les Gabonais qui sont à l’initiative de ce nouvel emprunt et pas le FMI.
Quant au manque de confiance du FMI vis-à-vis du gouvernement gabonais, permettez que j’émette quelques doutes. En effet, il faut se rappeler que le FMI est cette institution qui vient expliquer chaque année aux Gabonais que tout va bien sur le plan économique même quand le gouvernement clame Urbi et Orbi que des hauts cadres de la République dont des ministres ont détourné des sommes folles des caisses de l’Etat. Existe-t-il plus grande marque de confiance ?
En ces temps de crise liée au Covid-19, le Gabon a vu sa note souveraine dégradée par Fitch Ratings, quel impact peut avoir cette dégradation sur la stabilité financière du pays?
La dégradation de la note souveraine du Gabon par l’agence américaine Fitch Ratings reflète la situation de nos finances publiques et de notre niveau d’endettement au sujet duquel je n’ai cessé d’attirer l’attention des autorités et des populations depuis l’année 2015. En quelques années, la dette du Gabon qui avait une notation relativement correcte a subi des dégradations successives de toutes les grandes agences de notation de la planète pour se retrouver dans la catégorie des dettes à « Risque substantiel » et qui présentent une « éventualité de défaillance », à l’avant-dernier niveau du tableau de notation de l’agence Fitch Ratings.
Comme les précédentes dégradations, celle-ci va renchérir le coût de l’endettement sur les marchés internationaux avec notamment une prime de risque de plus en plus élevée que devra payer le Gabon. C’est autant d’argent qui manquera pour construire des hôpitaux, des routes ou des écoles. Enfin, au niveau où le Gabon se situe sur le tableau de notation, les agences semblent penser que notre pays pourrait faire défaut, c’est-à-dire qu’il pourrait être incapable de rembourser ses dette. Ce qui serait grave.
Comment le pays peut-il s’en sortir avec un prix de baril à 20 dollars et une tendance à la baisse, des investissements à réaliser dans le domaine de la santé, quand on sait que la mauvaise gouvernance est encore au cœur de notre système ?
C’est une question que nous avons largement abordée dans un grand document stratégique que nous avons réalisé bénévolement, 3 autres compatriotes et moi-même, à notre initiative, et que nous avons fait parvenir aux décideurs le 3 avril dernier à l’instar de ce que nos collègues ayant une affinité avec les questions économiques ont fait dans d’autres pays du monde. Il existe encore des marges de manoeuvre sur le plan budgétaire et monétaire. Il faut les exploiter. Il est urgent d’initier une action internationale et de faire preuve de leadership pour obtenir le nécessaire report de nos échéances de dette pour 12 mois au moins. Il faut accepter de faire preuve de bonne gouvernance, ce n’est pas un péché, et de réduire significativement les budgets de certaines institutions privilégiées de la République. Il y a des solutions, encore faut-il qu’on veuille les appliquer.