L’état d’urgence décrété par le président de la République le 10 avril 2020 et accompagné en cela par la mise en place du confinement général et total du Grand Libreville a mis en branle les forces armées et de sécurité dans le but de faire respecter ledit confinement. Une semaine après la mise en application de cette mesure exceptionnelle, les forces de l’ordre sur le terrain bien que présentes ne semblent pas avoir saisi l’essence du message du ministre de l’Intérieur Lambert-Noël Matha qui avait certes exigé en cas de sortie la présentation d’un laissez-passer, tout en précisant que les usagers pouvaient circuler sans ledit sésame pour les questions essentielles de santé et d’alimentation. Une nuance que n’ont visiblement pas, assimilé les hommes sur le terrain lesquels exigent systématiquement pour les véhicules un laissez-passer quand ils laissent étrangement les piétons circuler, sans interpellation aucune. Du deux poids deux mesures et des incompréhensions qui font le lit aux comportements zélés de nos forces de l’ordre vis-à-vis des usagers véhiculés, cibles de réprimandes et de menaces.
Le gouvernement a déployé depuis le 12 avril dernier les forces armées de sécurité et de défense dans la cadre de la stratégie de lutte basée sur des mesures de confinement total. Soucieux de la santé des populations et au vu du nombre croissant des cas enregistrés, le gouvernement a décidé de renforcer les mesures de confinement du « Grand Libreville » par le truchement d’une opération baptisée « Hippocrate ».
Le but de la mission ? En conjugaison avec les forces de 1ere et 2eme catégories, « interdire tout déplacement non justifiés des populations entre différents espaces territoriaux pendant 1 mois », pouvait-on lire dans une note de l’État major des forces armées gabonaises n°000068/EMGFA/DGOPS/DP produite le 11 avril 2020, signée du Général de brigade Ditengou Yves, du reste Chef d’état major, général des forces armées.
Une dispense pour les activités liées à la santé et l’alimentation
A l’occasion de sa conférence de presse relative à la divulgation des modalités de mise en oeuvre des mesures sanitaires, économiques et sociales en rapport avec la lutte contre la propagation de la Covid-19, le ministre de l’Intérieur déclarait dans un premier temps que « l’opération Hippocrate mettra en branle des troupes mobiles et fixes de patrouilles de nuit devront veiller à ce que qu’il n’y ait pas de circulation des forces de sécurité sur toute l’étendue du Grand Libreville pour veiller au respect du confinement total ». C’est là le premier objectif du déploiement des éléments de la gendarmerie, de la police, de l’armée, de la marine et de la garde républicaine.
Conscient toutefois que les besoins essentiels de la vie demeurent nonobstant le confinement et qu’ils sont peut-être plus manifestes en étant confinés, Lambert-Noël Matha va préciser que bien qu’ayant pour consigne de rester chez soi, les Gabonais ont le droit, sans laisser passer, de sortir pour les questions strictement liées à l’alimentation et la Santé. « Autrement dit, chacun doit rester chez soi, sauf pour les sorties et activités essentielles liées à l’alimentation et à la Santé pour lesquelles les dérogations vont être données ».
Dit autrement, les Gabonais ont de facto une dispense spéciale lorsqu’ils justifient leurs sorties et leur présence dans le « Grand Libreville » pour les activités cruciales liées à l’alimentation et à la Santé. Ce message d’une clarté absolue, n’a manifestement pas été saisi par certains éléments des forces de défense et de sécurité déployées dans le cadre de l’opération Hippocrate ».
Le deux poids deux mesures des forces de l’ordre
Le constat étrange et interpellateur fait en circulant dans une partie de la capitale tout au long de cette première semaine de confinement total réside dans l’attitude arbitraire des forces de l’ordre. Ces dernières interpellent systématiquement tous les véhicules pendant que dans le même temps, les piétons circulent sans en être inquiétés et sans qu’il leur soit demandé de se justifier sur les raisons de leur présence dans les rues du « Grand Libreville ». Mieux, quand un usager véhiculé, justifie sa présence dans Libreville pour les activités essentielles soulignées par le ministre d’État, ministre de l’Intérieur Lambert-Noël Matha, les forces de l’ordre intransigeantes ne souhaitent voir qu’un seul document, le fameux laissez-passer.
De sortie, ce jeudi 17 avril pour des raisons de santé en ayant à l’esprit de ne pas faire valoir mon laissez-passer en tant que média, aux fins d’observer le comportement des forces de sécurité, à bord de mon véhicule, je prends la direction du Centre ville. Derrière la prison, Louis, Affaires étrangères, bien que partiellement désertes, je ne perçois aucune présence des forces de l’ordre. Le premier Check-point point est érigé à Géant CKDO dans le sens allant vers Sainte Marie. Quelques kilomètres, le premier contrôle allant dans mon sens intervient juste après la Cour Constitutionnelle exactement en face de l’immeuble de la compagnie Air France.
Le Checkpoint est tenu par des éléments de la Garde républicaine assez lourdement armés. Un mini embouteillage est créé par une horde de véhicules qui font l’objet de contrôle. Plus d’une dizaine. A mon approche, un des éléments me demande de ralentir et de garer sur le bas côté. Dans le même temps des piétons marchent, d’autres font du footing en toute liberté.
Je m’exécute et la discussion s’engage. « Bonjour, pièce d’identité et laissez-passer Monsieur » me demande–t-il, ma réponse, « Bonjour Chef, je suis de sortie pour des raisons de santé monsieur, je dois nécessairement faire des prélèvements et voici mon rendez-vous ». A l’agent de rétorquer « Oui mais pour sortir il faut un laissez-passer, c’est obligatoire sinon vous restez chez vous ». Surpris je lui rappelle alors les déclarations du ministre de l’Intérieur. « mais monsieur l’agent nous ne pouvons pas tous disposer d’un laissez-passer, et le ministre de l’intérieur a bien notifié que les sorties sont autorisées pour les questions de santé et de l’alimentation ».
En dépit de mes explications, l’agent campe sur ses positions, pour éviter que le ton monte, je lui sors mon laissez-passer et lui signifie que je ne l’ai pas brandi parce que je ne me déplace pas pour des raisons professionnelles. Réponse de l’agent « Ah ok ! vous pouvez circuler ». Il fait ensuite signe à son collègue quelques mètres devant lui, effectuant également des contrôles, de me laisser passer.
Je m’engage à nouveau sur la voie rapide, dépasse la présidence puis la place de l’indépendance pour faire face à mon second Check-point juste après l’immeuble Rénovation en face de la CNSS. Encore une fois des piétons circulent en toute quiétude passant devant les forces de l’ordre. Le barrage est cette fois–ci tenu par des éléments de l’armée en bérets verts. J’utilise le même procédé que lors de mon premier contrôle sans présenter mon laissez-passer. A ma grande surprise, l’agent fait preuve de compréhension, « allez-y monsieur. Doucement à vous et bon rétablissement », je réponds avec le même allant « Merci pour votre compréhension chef, bon courage à vous ».
L’opération Hippocrate entre incompréhension et excès de zèle
De retour de ma consultation, je prends le même chemin mais dans l’autre sens. Du feu rouge de Glass, je fais halte au barrage de géant CKDO tenu par la garde républicaine. Là aussi au niveau de sainte Marie, les badauds attendent semble–t-il des taxis qui sont quasi inexistants. Interpellé comme à tous les barrages, je m’exécute. Comme attendu, l’agent demande avec instance le laissez-passer, je lui explique comme avec les autres, les raisons de ma sortie en lui apportant les preuves. Refus catégorique. Il exige un laissez-passer.
Cette fois, je reste sur ma position et décide de raisonner l’agent des forces de l’ordre. Un des leurs s’étant rendu compte que la discussion s’éternisait décide d’intervenir. Au regard de la teneur de mes explications et justifications, il finit par flancher. « D’accord monsieur, mais vous savez qu’actuellement c’est compliqué. Evitez au maximum les sorties sinon ayez un laissez-passer ». A moi de répondre en insistant « Chef je ne sors pas en balade ou pour transgresser les dispositions du confinement, je suis dehors pour des raisons de santé et les plus hautes autorités m’autorisent à sortir dans ce contexte ». Réponse de l’agent « D’accord Monsieur. Bonne route » dit-il en se ravisant.
Ces quelques heures dans une des zones du « Grand Libreville » au contact des forces de de défense et de sécurité ont abouti au constat suivant. Les éléments déployés dans le cadre de l’opération Hippocrate de façon systématique contrôlent tous les véhicules ce qui est normal. Aucun grief ne leur est fait à ce niveau. L’aspect dans lequel on s’interroge est de savoir pourquoi ce contrôle systématique, ne l’est pas également sur les piétons qui sortent dont certains sont dehors alors que la raison qui les pousse à sortir n’est ni liée à l’alimentation et encore moins à la santé.
Le même constat a été fait au Check-point de Blaise Pascal tenu par les gendarmes ou aux Charbonnages où en dépit de la présence des forces de police nationale, les populations sortent et parfois s’attroupent au nez et à la barbe des policiers. Une situation qui non seulement soulève des questions sur le laxisme de certains agents mais surtout le message délivré par les supérieurs hiérarchiques des certains corps, les Commandement en chef notamment, qui manifestement n’a pas été clair dans l’entendement de tous. Il semblerait que pour les éléments de l’opération Hippocrate, que seul le laissez passer demandé exclusivement aux usagers ayant des véhicules ne soit autorisé pour circuler.